La toile de Jouy

Dans la fraîche vallée de la Bièvre, où l’eau claire serpente entre prés et bosquets, s’éleva, en l’an 1760, une fabrique qui allait métamorphoser le destin du coton : la manufacture de Jouy-en-Josas. Christophe-Philippe Oberkampf, esprit industrieux venu de Wurtemberg, s’associa au chevalier de Tavannes ; dans une simple maison, presque paysanne, ils tirèrent des premières planches de bois un motif frêle et charmant – le « Chinois à la brouette ». Ainsi commença l’aventure. Bientôt, la vapeur des teintures s’accorda au brouillard du matin, et plus de douze-cents ouvriers, pareils aux fourmis d’une ruche lumineuse, s’activèrent autour des cuves parfumées d’indigo.

Oberkampf, toujours en quête de perfection, abandonna le bois pour les plaques puis les rouleaux de cuivre gravé ; la main de l’homme se fit plus sûre, la ligne plus fine, et le tissu, comme un miroir d’étoffe, refléta le goût d’une époque qui rêvait d’Arcadie. Les dessins naissaient sous le crayon de Jean-Baptiste Huet : pastorales où des bergers flûtent sous les saules, bouquets capricieux, oiseaux volubiles, chinoiseries ou « arabesques perses » qui offraient à l’Europe un Orient d’imagination.

Sous Louis XVI, la fabrique reçut l’auguste titre de Manufacture royale. Marie-Antoinette, l’âme bucolique et la sensibilité fleurie, s’éprit de ces toiles ; on les posa, fraîches encore du tambour d’impression, dans ses cabinets intérieurs et le Petit Trianon. Là, des rideaux à Grand Ananas, là, des murs tapissés de scènes champêtres, composaient un décor tendre où la reine, lasse des dorures officielles, goûtait le parfum discret d’une nature rêvée.

De ces pièces, bruissant des confidences de la cour, montait un murmure léger : le tissu, grâce à Jouy, avait troqué la raideur des brocarts pour la grâce des jardins ; il parlait de liberté, de douceur, d’un certain charme français que la Révolution emporterait bientôt, mais qui demeure, aujourd’hui encore, dans chaque fragment sauvé de la toile de Jouy. Héritage d’ingéniosité et de poésie, elle reste le symbole d’un XVIIIᵉ siècle où l’art de vivre s’écrivait à même la fibre – avec, pour enluminer la trame, la signature silencieuse de Marie-Antoinette et le génie industrieux d’Oberkampf.

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